“Mes yeux sont comme le portail ouvert d’une cathédrale”
Vladimir Vladirimovitch Maïakowski
Je ne crois pas en d’étranges coïncidences. Pourtant, parfois…
Je ne peux m’empêcher à mon tout dernier billet du 15 novembre qui évoquait alors la naissance heureuse de ce qui sera à présent
son dernier livre d’art : APOCALYPSE 2000 !
Je ne peux m’empêcher de penser qu’au moment de sa mort, se déroule une magnifique exposition à la galerie Dorval à Lille, ville
qu’il aime tant et où il effectua ses études de philosophie !
Je ne peux m’empêcher de penser à ses nombreux et nombreuses inconditionnels qui se sont empressés de le célébrer jeudi soir
lors du vernissage de cette exposition.
Je ne peux enfin m’empêcher de penser à la préface qu’il venait d’écrire dans APOCALYPSE 2000, où il finit par ces mots : «
…Ce livre est donc celui de l’amour et de l’espoir, de la résurrection et de la vie, piliers essentiels de ma spéléologie mentale, comme je l’ai exprimé par la suite dans la rosace de la
Cathédrale Notre-Dame de la Treille à Lille. »
Mais tous ceux-ci ne sont que simples hasards d’un calendrier dont la nature n’anticipe guère de parfois concertantes
concordances !
Ladislas Kijno s’est endormi pour toujours cette nuit. Lui qui voulait que la mort, quand elle viendrait, puisse le prendre et
l’emporter en plein travail. Il aurait alors fallu pour cela, qu’il ne possède pas sa résistance exceptionnelle aux maladies qui l’ont tant et souvent défié ! Il possédait une telle force de vie,
une telle envie de « donner encore », que cet amour de l’existence dépassa même à regret son incapacité physique à pouvoir, au travers de ses doigts de plus en plus hésitants, continuer de
produire ses œuvres…
Les dernières années passèrent. Trop vite ! Je me souviens encore de ma visite dans sa jolie maison de Saint Germain-en –laye :
nous devions être au printemps 2004. La Fondation Demeures du Nord était encore toute jeune et il en fut d’ailleurs le meilleur conseiller, le véritable parrain !
Malou, sa magnifique épouse éternellement jeune et élégante, venait de son sourire, adoucir nos discussions animées qui allaient
du rire à la gravité…
Homme franc, sûr de ses convictions, amoureux de la vie et pourtant portant tellement en lui la souffrance de l’humanité ! Ses
combats furent si nombreux, dont l’un des plus célèbres fut son soutien dont il mérite l’adjectif de « fulgurant » envers Angela Davis dans les années 70. (Elle fut à cette époque, tout comme
Malcom X et Martin Luther King, l’une des plus grandes figures du mouvement noir américain, militante révolutionnaire, se battant pour l’égalité des noirs et des blancs mais également pour
l’émancipation des travailleurs. Elle fut condamnée à mort en 1972, et Kijno fut l’un des acteurs principaux d’une mobilisation internationale qui permit sa libération.)
Les années passèrent donc depuis ma première visite de 2004. J’y avais alors découvert son atelier aux trésors : je me souviens
encore de cette émotion que je gardais en moi tant cet endroit me subjuguait comme un enfant conscient qu’il visitait là avec chance « cet unique coin de paradis. » Son grenier…
Ces années qui passent… Trop vite. Puis quelques dessins encore, quelques gros traits de feutres noirs qui
crissent sur une feuille blanche, et l’artiste s’en alla. Aujourd’hui. Surprenant malgré ses 91 ans, tant il paraissait intouchable !
Immense artiste du 20ème dont l’histoire confirmera combien les mots de Picasso dont il avait à sa manière souligné le talent de
Kijno dans ses propos tenus auprès de Jacques Chancel, tellement pleins de vérités : « Un peintre de notre équipe mériterait une meilleure attention. Souciez-vous de Ladislas Kijno
qui ne froisse pas que des papiers. C’est un artiste puissant, un peu fou peut-être et trop enclin à philosopher. Si vous le voyez, conseillez-lui de se consacrer uniquement à la folie.
»
Son départ provoque déjà une immense émotion auprès de ses amis, de ses nombreux admirateurs, et je peste de ne plus entendre sa
voix rauque qui se voulait à la fois autant prévenante que généreuse dans ses conseils, et qui résonne encore un peu plus en cette triste journée …
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